Louis Bertrand meurt. Il a trente-quatre ans depuis quelques jours. Il est dans un des lits de la salle commune de l’hôpital Necker. La tuberculose a eu raison de lui, il crache du sang, il s’étouffe, il meurt.
29 avril 1841.
Un jour quelconque. Certains vivent, d’autres meurent. On ne sait pas soigner la tuberculose à cette époque, on ne sait pas soigner grand-chose, on donne de l’opium aux malades, certains guérissent, d’autres pas.
Louis Bertrand a tout raté. Il se le répète depuis longtemps, c’est peut-être pour ça qu’il ne lutte plus contre son mal, à quoi bon, pour qui, pour quoi ?
Son manuscrit a été refusé par tous les éditeurs de Paris, par toutes les revues de France. Hugo, Nodier, Sainte-Beuve lui ont écrit quelques lettres gentilles, lui ont dit quelques mots distraits.
Il ne sait pas que son livre sera publié l’année prochaine. Il ne sait pas qu’il a donné naissance à un genre. Il ne sait pas que Baudelaire, Mallarmé, Reverdy, Max Jacob, Breton le salueront comme leur maître, leur inspirateur. Il ne sait pas que ce pseudonyme vaguement médiéval, griffonné au dos de l’un de ses poèmes, symbolise à jamais un état de la langue française, un moment éphémère, éternel, une forme, un équilibre que l’on disait jusqu’alors impossible entre le poème et la prose.
Aloysius Bertrand meurt vaincu, triomphant, ignorant tout de lui, de sa vie, de sa mort. Pareil en cela à n’importe lequel d’entre nous.
Pierre Maubé
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